Figure #2 notes de travail
NOTES DE TRAVAIL INTERNE – DRAMATURGIE EN COURS
"Recherche deleuzo-guattarienne pour un corps désubjectivé qui machine"
Brouillons ouverts, écrits lors des 4 jours de travail au plateau
MARIE REVERDY – USINE de TOURNEFEUILLE mars 2023
Dans la dynamique de ce qui fonctionne, esthétiquement, et que nous avons appelé "Machine" en référence à la terminologie de Deleuze et Guattari qui n'ont eux, pour seule ambition, que de déjouer le paradigme du théâtre pour penser l'inconscient, le socius, le désir comme manque … etc. Bref, la machine échappe à la représentation, à la signifiance, à la subjectivité (du moins quand on la résume au libre arbitre). Dans ce sens, tous les organismes biologiques sont concernés, mais également tous les fonctionnements de groupe, les sociétés… etc.
Un des modèles "machiniques" du corps humain est, par exemple, celui de la succion chez le nourrisson ou celui de la saisie dès que la paume de la main est touchée. Outre ces réflexes biologiques innés, il y a aussi les réflexes acquis : lire la clef de sol, la clef de fa, bouger ses doigts de la main gauche et de la main droite en même temps, sur un clavier dont on doit reconnaître les touches.
Bref, apprendre à jouer du piano signifie apprendre à créer des réflexes physiques. Ainsi, si on faisait le tri dans ce qui fonctionne, ces derniers jours, pour désindividualiser : - le corps peut dissocier certaines parties, en lâchant "un bout" (comme le fait Joseph avec sa main lorsqu'il saute), en désynchronisant le rythme de ses membres, (comme le fait Alice lorsqu'elle fait son "Thriller / Wigman"), en proposant deux orientations divergentes au corps (comme le fait Camillo en envoyant son pied au plus loin, dans le saut latéral, obligeant sa tête à faire contrepoids en donnant l'impression qu'elle va dans la direction opposée). - le corps peut aussi être partiel, en soi, comme le fait souvent Anna dans la façon dont elle se module avec autrui et garde la trace de ce qui a eu lieu (comme un matelas à mémoire de forme). - Mais outre la constitution de ce vocabulaire qui concerne uniquement le corps, il y a aussi la gestion des actions et de leur modalité. Agir selon des règles simples ; "si touché alors saisir" permet que l'action réalisée ne soit pas le résultat d'une volonté mais d'un réflexe. Et le temps devient le seul allié pour qu'une règle soit à ce point intériorisée et qu'elle devienne réflexe. - Enfin, il y a des procédés d'écriture stricte, quelques éléments comme "Romuald Myope" ou Joseph attrapant les bords du tatami, ou encore Camillo retardant le moment de taper le tatami lors de son arrivée au sol, qui décentrent vos corps dans nos attentions. On voit que quelque chose se "machine" entre l'œil et le sol (ou le bras ou autre objet visé par le regard de Romuald) et le point de contact n'est plus une condition nécessaire pour que deux éléments se machinent ensemble, autrement dit s'hybrident. De même, au lien d'entendre la main claquer sur le tatami comme "signe" de la chute, le son se déphase du moment, mais advient tout de même comme un inévitable, tout en attirant notre attention entre la main et le sol. Montrer le vide en fait un élément « machinique » : une machine "pneumatique". Ainsi, entre autre, Alice a une danse. Camillo, Joseph ou Romuald ont des éléments (cf ci-dessus). Romuald a une modalité relationnelle (voler). Anna a une mémoire de forme, etc. Bref, des fonctions. Car n'oublions pas qu'un organisme (ou une machine), il faut que cela fonctionne...
Qu’est-ce qu’une machine ? Une machine est a-subjective, elle n’a donc ni volonté, ni préférence, ni projet, ni but, ni motif (au sens de raison d’agir). Une machine n’a ni centre ni frontière ; elle n’est identifiable à aucun sujet ou objet ou principe ou loi préexistant ou prédéterminé ; elle est juste un ensemble provisoire, fluide, élastique et changeant de relations productives, connectant flux et coupure. La machine est capable un moment de “soutirer une différence à la répétition”. Postulat de ce qu’est le monde des machines : fait de machines, il est donc fait de flux : Le monde de base est traversé de flux, ils sont perpétuels. Ils sont parfois coupés (c’est le principe des machines que de couper des flux), ils sont parfois couplés, ils sont parfois canalisés. Le flux joue le rôle que vous prêtez à la pulse : i.e. Ça ne s’arrête jamais. La pulse est un flux, mais le fait que la pointe de la barbe de Camilo doit sans cesse viser à produire un angle à 45° avec le sol est un flux qui peut être coupé par la machine “prise de judo au sol” par exemple. Pour le penser, il faut adopter un regard schize : désubjectiver, arrêter de faire correspondre autonomie/individualité et corps (l’individu ou son corps, n’est pas une planète). Ne voir que des réseaux (rhizome) composés par des éléments partiels (jamais des corps dans leur ensemble, ni des sujets). Et comme les connexions des machines produisent des formes, il faut s’atteler à travailler la mémoire de forme. Déterritorialiser implique que le “défaire” se fasse selon la modalité du “déphaser” « La machine ne produit une coupure de flux que pour autant qu’elle est connectée à une autre machine supposée produire le flux. Et sans doute cette autre machine est-elle à son tour en réalité coupure. Mais elle ne l’est qu’en rapport avec une troisième machine qui produit idéalement, c’est-à-dire relativement, un flux continu infini » (Deleuze et Guattari)